mercredi 25 mai 2016

Réussir les fusions-acquisitions : l’importance critique de l’accompagnement humain.

Nombreuses sont les fusions acquisitions qui se soldent par de véritables  échecs financiers.  Observateurs et experts attribuent ces échecs à diverses raisons : les mauvais partenaires, un mauvais prix d’acquisition, une erreur de timing,  les deux entreprises sont intégrées trop rapidement ou trop lentement….Toutes ces explications restent valables mais il en existe une bien  plus centrale – les émotions négatives générées par un mauvais accompagnement du changement chez les collaborateurs et managers.  Les émotions les plus fréquemment observées sont la peur, la frustration, la colère.

La peur est provoquée par l’incertitude et le changement, c’est à dire la perception d’une importante perte de contrôle d’une personne  sur son travail, et par conséquent, sur une part importante de sa vie.  Cette émotion reste très vive en phase d’annonce de la fusion-acquisition (phase amont), lorsque les informations sont encore éparses mais le risque de changement très réel. Les tentatives de compréhension, d’analyse, la recherche d’informations sont autant de démarches de la part des collaborateurs qui  monopolisent toute leur énergie, conduisant dès lors à une forte paralysie de l’entreprise au profit d’une  production accélérée de rumeurs.  Chacun ne se concentre plus qu’à œuvrer à se protéger : les meilleurs talents remettent à jours leurs CV, les délégués syndicaux se font courtisés et ceux dont l’employabilité reste moyenne  se voient tracer le moindre faux pas managérial.  Sur une période moyenne d’observation allant de 3 à 9 mois il m’est apparu que la performance opérationnelle et financière décline de plus en plus régulièrement.

La frustration apparaît lorsque la fusion-acquisition est effective. Les plans de départ volontaires se mettent en place, ciblant les personnes les plus employables. Les salariés en fin de carrière, souvent avec une forte ancienneté et loyauté vis-à-vis de l’organisation, espèrent pouvoir partir avec un chèque, leur souhait étant bien évidemment rarement honoré.  Il en résulte un sentiment d’injustice particulièrement si cette population observe certains de leurs collègues partir avec une somme importante et retrouver rapidement du travail.  Notre expérience nous montre clairement qu’il ne s’agit pas là d’une situation inhabituelle, particulièrement en région parisienne.

La colère devient une émotion commune, lorsque les salariés qui restent perçoivent une certaine forme de mépris pour leur travail et leurs efforts d’adaptation.  Les plus anciens et loyaux ont contribués à la construction des règles et routines du travail. Il est cependant fréquent que la fusion-acquisition entraine des changements organisationnels profonds accroissant le risque sur la  période  succédant la fusion, d’un discours de « table rase » ou de « gagnant-perdant ».  Par ailleurs  ceux qui restent n’ont pas  forcément obtenu de récompense financière en lien avec leurs efforts d’adaptation d’autant plus  que ce sont eux qui doivent gérer les dysfonctionnements organisationnels générés : double charge de travail + rémunération identique = forte dette psychologique de reconnaissance.  Le sentiment d’injustice et la colère peuvent alors les pousser à limiter leur contribution, baisser leur productivité, voire se transformer en opposant du changement ou en saboteur. En contre-réaction, la nouvelle direction peut se durcir et tenter le passage en force, alors même que le management de proximité est lui-même potentiellement démotivé et en colère de voir les dégâts générés.

Toute cette charge émotionnelle provoque un impact humain et organisationnel exceptionnel si l’accompagnement du changement est absent ou mal fait :
  • Augmentation de l’absentéisme et du présentéisme
  • Problème de sommeil, baisse des défenses immunitaires, troubles anxio-dépressifs
  • Augmentation de la résistance au changement et des dynamiques collectives paranoïaques
  • Perte des talents critiques
  • Augmentation de la conflictualité
  • Perte de qualité dans les produits et services
  • Perte d’acquisition et rétention des clients
  • Désalignement des dirigeants vis à vis des priorités stratégiques
  • Perte de loyauté des salariés
  • Augmentation du risque de mouvement social


Mes interventions ont porté sur les 3 phases : avant, pendant, après. Ce qui m’a surpris est la force pour limiter ces effets de la mise en place de bonnes pratiques d’accompagnement du changement. Ce qui m’a également marqué est l’influence profonde des mauvaises pratiques sur la survie réelle d’une fusion-acquisition.

Quelles peuvent-être les bonnes pratiques ?

En amont :

La meilleure stratégie pour limiter la peur est d’augmenter l’empathie. L’équipe managériale devra se mobiliser pour aller au contact du terrain, écouter. Il est également important de pouvoir exprimer une vision sur le pourquoi et surtout sur le pourquoi maintenant. Quels en sont les gains espérés ? Il est également important de fournir aux salariés, surtout aux managers de proximité les informations nécessaires sur l’environnement économique est les besoins/défis de l’entreprise.  Bien entendu, l’expérience montre que la  pratique « d’occuper le terrain » est compliquée pour les dirigeants car ils sont accaparés par les dossiers juridiques et financiers, par leur propre gestion du stress et par leurs agendas personnels.  Par ailleurs, si les membres de l’équipe de direction dont le/la DRH ne sont pas familiers à ce type de situation, il demeure fondamental de les former. De manière générale,  tout grand changement, nécessite de prévoir un plan de communication détaillé puis de réaliser une matrice des risques A cela doit s’ajouter la mise en place d’une cellule de crise et d’une équipe projet.  Enfin, prévoir un dispositif RH de fidélisation des compétences critiques.

Pendant :

Au cours de cette phase, l’entreprise doit mettre en place simultanément les  bonnes pratiques suivantes : la mise en place d’un soutien psychologique afin d’accompagner les personnes en difficulté ; la mise en place d’une étude d’impact humain afin d’identifier les éventuels risques psychosociaux ; la mise en place d’un blog/site interne permettant de fournir en temps réel les informations et ainsi faire remonter les grandes interrogations des salariés, l’accompagnement du dialogue social  (ex : médiation sociale) lorsque la situation se tend, le coaching des managers de proximité pour les aider à jouer leur rôle d’accompagnement du changement, un diagnostic culturel pour informer l’équipe de direction des différences profondes (ex : rapport au pouvoir, rapport au temps,…) pouvant bloquer l’intégration.  Prévoir également des temps de rencontre entre les différentes personnes des 2 entités, même si tous les cas de « doublon » ne sont pas encore réglés.  Un point important est de bien soigner la sortie des personnes (ex : autoriser même si cela à un coût-temps les pots de départ), afin de démontrer publiquement l’éthique de l’entreprise et ainsi créer les bases de la confiance dans la nouvelle entité. Introduire dans la communication interne l’ensemble des « succès » obtenus par chacune des entités au cours de son histoire.

Après :

Il est très important de permettre aux salariés de pouvoir échanger et  s’exprimer.  Cette phase de « cicatrisation » doit remobiliser les collectifs vers le présent, le futur et surtout vers un ressenti émotionnel plus positif.  Il peut être intéressant d’organiser des groupes d’expression permettant aux salariés de « ventiler » leurs émotions. L’idée est que les salariés puissent, avec l’aide d’un facilitateur, formaliser le vécu du changement, les besoins actuels et les espoirs pour le futur. En fin de session, les dirigeants viennent échanger avec le groupe et répondre à leurs questions.  En parallèle, il est utile d’organiser un coaching collectif pour l’équipe de direction (se constituer en équipe, comment accompagner la transformation culturelle,…)  ainsi que pour les équipes « critiques » (ex : l’informatique ou la fonction commerciale). Une autre bonne pratique consiste à établir plusieurs groupes transversaux qui s’emploieraient à résoudre les problèmes organisationnels et relancer l’innovation. Une alliance des méthodes Appreciative Inquiry et de Work-Out peuvent être très puissantes. Pour finir, il convient d’identifier avec la fonction RH des incitations permettant de récompenser les efforts et la remobilisation ainsi que la meilleure politique de gestion des talents (recrutement, fidélisation).

Les freins les plus pénalisants à la mise en place de ce type de pratique sont les suivants :

  • Le manque de conscience par les dirigeants de l’importance de l’accompagnement du changement
  • L’impatience, l’arrogance ou un optimisme exagéré du nouveau PDG
  • Le manque de temps et la surcharge des décideurs, surtout s’ils ne savent pas déléguer ou ne peuvent le faire car leur premier cercle (inner circle) n’est pas à la hauteur
  • Le manque d’argent ou l’impression de « faire des économies »
  • Le manque de confiance dans l’accompagnement par des consultants car les expériences passées ont été mauvaises
  • Le manque d’envie car l’humain n’est pas considéré comme stratégique…
  • La panique des dirigeants qui ne parviennent plus à structurer une méthode claire
  • La mésentente au sein du binôme des dirigeants devant accompagner la fusion-acquisition
  • La rivalité au sein des équipes de direction, ce qui entraine un blocage des décisions
  • Le manque d’expérience, de courage ou d’influence des RH pour pousser aux bonnes pratiques
  • Le manque de compétences internes pour accompagner le changement
  • Un dialogue social conflictuel avec des syndicats « jusqu’au-boutistes »


Etude de cas

Je suis mandaté, en urgence, pour accompagner une crise psychosociale provoquée par la fusion acquisition de deux entreprises informatiques. L’entreprise américaine rachète une rivale française. Cette fusion est accompagnée d’un plan de réduction des effectifs en France et aux États-Unis, afin d’augmenter la synergie entre les deux entreprises. Le management de l’entreprise française devient américain, avec un directeur général ayant des demandes personnelles jugées inconsidérées dans le contexte français : achat d’une voiture de fonction 4x4 de luxe, location d’un appartement de fonction en plein Paris, de 300m2 ; faire venir son cheval personnel des États-Unis. Les salariés apprennent progressivement ces comportements et sont démotivés. Beaucoup essaient de profiter du plan de réduction pour négocier un départ volontaire. Cependant l’entreprise souhaite conserver les éléments clefs et refuse de négocier avec un grand nombre de demandeurs, alors que les moins employables se voient signifier la proposition de départ. Dans ce contexte, le CE, traditionnellement constructif, se radicalise et demande une expertise à un cabinet, pour stopper le « plan de la direction ». Par ailleurs, les résultats financiers se dégradent et la médecine du travail alerte sur le fait que plusieurs managers de proximités sont à la limite de l’épuisement professionnel. Les salariés d’une même équipe portent plainte pour harcèlement de la part de leur manager. Le DRH se dit qu’il va falloir agir mais le directeur général ne veut rien entendre.

Après avoir rencontré le DRH, acteur d’influence en interne, puis les syndicats, nous arrivons à obtenir un rendez-vous avec le directeur général américain, afin de lui faire part de la situation et de l’alerter sur l’importance de retrouver un comportement plus exemplaire dans un contexte français. En parallèle, une série de réunions informelles sont organisées, avec des petits groupes de salariés. L’objectif vise à les faire échanger avec le DRH et les délégués du personnel sur leurs difficultés et attentes. Cette stratégie permet d’apaiser suffisamment les tensions pour remettre la dynamique collective dans la recherche de solutions. Sont conduits en parallèle des entretiens sur la situation potentielle de harcèlement. A mesure que se déroulent les premiers entretiens, il m’apparaît clairement que le manager dit harceleur est en fait un bouc émissaire permettant de gérer la pression de l’équipe la plus négativement impactée par la fusion.

Profitant de l’accalmie dans la crise, nous mettons en place un séminaire avec le comité de direction, dans l’objectif de le faire travailler sur les solutions aux problématiques actuelles. Au cours de ce séminaire, sont soulevés de nombreux problèmes organisationnels encore sans solutions. Se décide alors la création d’un comité opérationnel chargé de finaliser la fusion au niveau organisationnel. Ce comité pluridisciplinaire se compose de salariés volontaires, au plus proche du terrain, afin d’éviter le décalage des procédures avec la réalité du travail. Se décide également de se saisir de la fusion comme une opportunité pour ouvrir un pont entre les États-Unis et la France pour améliorer la gestion de carrière : les français pourront postuler sur des postes américains et inversement. Ces deux initiatives sont très bien accueillies par les salariés. En parallèle, nous mettons en place un système de coaching par téléphone, permettant aux managers de pouvoir bénéficier de trois séances chacun, pour l’accompagnement du changement ou pour toute problématique managériale sur laquelle ils souhaitent échanger avec le coach. Une enquête sur le vécu du changement est mise en place, portée par le CHSCT et la direction des ressources humaines. L’inspection du travail et le médecin du travail sont conviés, en séances de CHSCT, aux différentes étapes de cette enquête.

Je mets également en place une réunion de bilan avec la direction générale de l’entreprise, ainsi qu’avec le CHSCT et le médecin du travail. Une réunion de travail se déroule entre le directeur des ressources humaines et l’inspection du travail, afin de demander à ce dernier, quelles sont ses recommandations face au contexte. Un reportage est écrit pour le journal interne, avec des articles sur les personnes parties aux États-Unis. Le dirigeant américain met en place un système de management local en promouvant le directeurs des ressources humaines, directeur pour la France. Une grande fête est organisée avec l’ensemble des salariés pour fêter la nouvelle entité. Les résultats de l’enquête sont donnés à l’ensemble des salariés par le biais de communications écrites et orales. Une boite à idée est installée. Les résultats de l’enquête sont introduits dans le document unique d’évaluation des risques (DUER[1]). Un comité qualité de vie au travail, paritaire (RH, SST, CHSCT) est mis en place de manière pérenne.





Matthieu Poirot

Expert en qualité de vie au travail, leadership et développement organisationnel 

Expert in Quality of Life at Work, Leadership and Organizational Development 


pour me suivre sur Youtube,  Facebook et sur Twitter 




©Matthieu Poirot,2007-2016. 




[1] Le document unique a été créé par le décret n°2001-1016 du 5 novembre 2001. C’est est un outil permettant d’engager une démarche de prévention par l’évaluation des risques.  Il est revu au minimum chaque année et à chaque fois qu’une unité de travail a été modifiée. Il doit également être revu après un accident du travail.

Aucun commentaire: